28 octobre 2005, il est 1h45 dans le petit village brabançon. Les lumières de la maison semblent toutes éteintes, seule la veilleuse de la chambre du deuxième étage éclaire la nuit. Capuche sur la tête, feutre en poche et adrénaline à son paroxysme. Les yeux sont moites et les mains sont humides
Les risques sont gros, le cœur aussi mais la peine, elle, l’est encore plus.
J’ai tout organisé, le plan est parfaitement élaboré. La nuit sera longue.
Cette nuit, dont le mot d’ordre est la révolte. Un objectif : dénoncer l’injustice.
La veille, notre mère nous demande à ma sœur et à moi de débarrasser la table, tandis que mes frères, eux, sont exemptés de cette tâche. J’avais 5 ans.
Il faut aller vite, ne pas se faire saisir. Une lettre après l’autre.
8h31, doucement le soleil se lève, les rideaux de ma chambre s’ouvrent. Les rues se réveillent comme chaque matin.
« Lorsque l’Injustice devient la loi, la révolution est une obligation. »
Voici les mots, que cette nuit-là, j’ai tagués sur les murs du salon de mes parents.
Il est 1h45 dans la banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois. Nous sommes le 28 octobre 2005. Les lumières de la ville semblent toutes éteintes. Seules les flammes des émeutes éclaireront la nuit. Capuches sur la tête, feutres en poche et adrénaline à son paroxysme. Les yeux sont moites et les mains sont humides.
Les risques sont gros, les cœurs aussi, mais la peine, elle, l’est d’autant plus.
Ils ont tout organisé, le plan est parfaitement élaboré. La nuit sera longue.
Cette nuit, dont le mot d’ordre est la révolte. Un objectif : dénoncer l’injustice.
La veille, Zyed et Bouna meurent électrocutés en tentant d’échapper à un contrôle de police alors qu’ils rentraient de leur entrainement de football. Ils avaient 17 et 15 ans. Il faut aller vite, ne pas se faire saisir. Une lettre après l’autre.
8h31, doucement le soleil se lève, les rideaux métalliques des commerces s’élèvent. Les rues sont les reliques de l’histoire qui, cette nuit, s’est écrite.
« Lorsque l’injustice devient la loi, la révolution est une obligation. »
Voici les mots qui, cette nuit-là, ont été tagués dans les rues par les jeunes du département de la Seine-Saint-Denis.
Ici l’art est politique.
L’art est-il toujours politique ?
La nuit du 28 octobre 2005, il l’était. Il l’a toujours été ; cette nuit-là, toutes celles qui lui ont précédé et toutes celles qui suivront.
Le 10 mai 1933, il était si politique que le pouvoir le craignait. Il faisait si peur que son sort a été le même que celui que l’on jette aux sorcières. Au bûcher.
Place de l’Opéra à Berlin, on estime à 20 000 le nombre de livres brûlés parce qu’ils étaient contraires à l’idéologie nazie. On dénonce un autodafé.
En 1940, Frida Kahlo peint « Autoportrait à la moustache ». La peintre défie avec audace et satire les normes de genre, elle chamboule la traditionnelle féminité ; elle choque, elle dérange, elle étonne, elle se révolte. Elle dénonce.
Le 13 octobre 1998, deux ans après sa mort, le single Changes de Tupac Shakur est révélé au grand public.
« I see no changes,
wake up in the morning and I ask myself
Is life worth living, should I blast myself?I’m tired of be in poor,
and even worse,
I’m black”
Tupac énonce les problèmes politiques et sociaux propres au contexte des Etats-Unis. Il dénonce le racisme et la discrimination, il dénonce l’injustice sociale.
En 2008, l’artiste plasticienne cubaine Tania Bruguera réalise pour la première fois sa performance « Tatlin’s Whisper #5 ». Performance interactive qui questionne la notion de liberté d’expression et de participation citoyenne dans le contexte politique. Cette après-midi-là, elle dénonce, cette après-midi-là son art est politique.
L’art est-il toujours politique ?
Ces jours-là il l’était, il l’a toujours été ; ces jours-là, tous ceux qui les ont précédés et tous ceux qui suivront.
L’art a toujours été politique, il continuera de l’être.
Celui ou celle qui prétend faire de l’art qui ne dit maux, n’est pas conscient.
Faire de l’art c’est dire, c’est s’exprimer, c’est exister.
Qu’on le dessine, qu’on le parle, qu’on le chante, qu’on le peigne, qu’on le joue, qu’on le danse, qu’on le veuille ou non, qu’on le revendique ou qu’on le taise, l’Art est toujours politique.
L’Art qui conte, c’est l’art qui énonce. L’Art qui compte, c’est l’art qui dénonce.
Depuis le salon de mes parents en 2005 jusqu’à aujourd’hui face à vous, ma révolte est artistique, mon art lui, est politique.