Réciproque en action

Ousmane Diallo : "Je suis barbare !"

29/4/2025
Le 14 avril dernier, il a remporté l’édition 2025 de notre concours de prise de parole citoyenne. Il parvient à haranguer la foule comme il happe les mots. De manière si fluide, si habitée. Sur scène, on écoute l’orateur, l’être humble, l’homme sincère. Le jury dira de lui : “le précheur”. Mais Ousmane Diallo, c’est avant tout un parcours de vie lié à un puissant amour de la littérature et une vive curiosité, autant des sciences que des langues. Ousmane, c’est un récit. En voici une brève partie.

“Faut-il rester barbare ? Oui !

Tant qu’on meurt pour notre couleur de peau ? Oui !

Tant qu’on nous invite à la table sans jamais nous servir. Oui !

Tant qu’on fait de nos cadavres un décor pour leurs discours. Oui !

Tant qu’on nous offre du riz mais vole nos champs. Oui ! (...)

Si être barbare, c’est réclamer justice pour les 50523 morts en Palestine dont 15000 enfants, oui !

Si manifester pour les 7 millions de personnes déplacées à l’Est du Congo....
Je suis un barbare...”

Ousmane Diallo, le 14 avril 2025 au Albert Hall, Etterbeek

Pour la première fois dans l’histoire de Réciproque, le public prend part de manière quasi instinctive au discours d’un des orateur·rice·s et scande avec lui, haut et fort, les multiples “Oui !”. À ce moment, au climax de son texte, Ousmane se sent porté par la chaleur de celleux qui lui font face au Albert Hall. L’anaphore a fonctionné : les spectateur·ice·s deviennent acteur·rice·s d’une barbarie assumée et nécessaire.

En demi-finale, Ousmane avait déjà fait sensation avec son texte qui estimait que non, les pavés n’en avaient pas marre.

Ce qui attire tant les yeux que les oreilles quand on assiste à une de ses prestations, c’est sa sincérité, la justesse de son propos aligné à ses gestes, son humilité, ainsi que le sens de la phrase qui claque dans nos tympans et sur nos coeurs. Si Ousmane parvient à faire (res)sentir tout cela à un public “d’inconnu·es”, c’est sans doute aussi lié aux 21 années que ce jeune Guinéen vient de traverser. Tout au long des étapes du concours Réciproque, il a fait fi de son passé, ne souhaitant ni l’étaler, ni justifier ses avancées, d’un tour à l’autre. Mais quelques jours après sa victoire, il accepte de nous en livrer quelques bribes.

Bord de scène avec Zélie Sels, maîtresse de cérémonie

Ousmane Diallo est né en 2004 en Guinée Conakry, 3 ans après un coup d’État. La situation politique (et en l’occurence, sociale et humanitaire) est instable. Il a déjà deux grands frères, bientôt une petite soeur. Sa mère s’engage pour un avenir plus juste. Un jour, elle se rend avec d’autres militant·e·s à une campagne et suite à un accident provoqué par un chauffeur fou, elle se retrouve paralysée, la colonne vertébrale fracturée. On annonce son décès à ses enfants qui sont envoyés dans différents pays d’Afrique, loin des leurs, pensant leur mère morte. Ousmane vivra des jours affreux en Sierra Leone, avant de retrouver sa maman hospitalisée à Conakry. Il devient alors le “Kadiatou” de la maison, l’enfant qui se retrouve au milieu d’une foule de femmes au marché et auquel on offre des poissons en suffisance pour nourrir les siens, celui à qui on vient gentiment pincer les joues. Celui qui aide à cuisiner, à gérer les tâches domestiques, à être le bâton de vieillesse de sa mère. Il rêve de devenir médecin pour un jour pouvoir l’opérer.

Mais sa destinée sera bien différente, et à 17 ans, sa famille souhaite pour lui un avenir meilleur. Il arrive en Italie et de là débute un parcours du combattant. Car personne ne fuit sa terre, sa famille, par choix. Après la botte de l’Europe, le voilà à Bruxelles, au Petit Château. Mais à nouveau, il est balloté d’un endroit à un autre et se retrouve dans l’énorme centre Fedasil* à Mouscron. Il ne s’en plaint pas, mais dira quand même que se retrouver au sein d’adultes de tous âges, alors qu’on a que 18 ans, c’est rude. Et que Mouscron, c’est pas simple.

Aujourd’hui, il a son propre petit appartement dans le centre mouscronnois.

Aujourd’hui, il aimerait pouvoir être totalement autonome et venir bosser à Bruxelles.

Aujourd’hui, cela fait 4 ans qu’il n’a pas serré sa mère et sa soeur dans ses bras.

Depuis son départ et son attrait pour la science, il a découvert le pouvoir des mots. Lui qui a toujours beaucoup (beaucoup) aimé parler, a trouvé dans l'écriture non pas un refuge, mais une soupape, un exutoire, un nouveau lieu de vie. Il slame, il écrit des livres, il déclame. Car comme le dit Aimé Césaire, dont Ousmane admire particulièrement les discours, « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Louise Gahide, Eleni Negash, Ousmane Diallo et Emmanuella N'Guessamble

Ce qu’on peut lui souhaiter pour demain, pour lui permettre de vivre décemment et d'être régularisé ? “Trouver un emploi, pour sortir de toutes ces paperasses notamment. Mais mon rêve ultime, ce serait de vivre de ma passion pour la littérature.

*Fedasil est l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile en Belgique.

NB : Ousmane Diallo est l’auteur du livre “Endurance”, publié aux Éditions Vérone. Son deuxième ouvrage devrait paraitre dans les mois à venir.

NB : Ousmane tient à remercier son coach Réciproque, Ryan, grâce à qui il estime que “la moitié de ce que j’ai accompli, c’est grâce à lui. Il a vraiment fait évoluer mon écriture, sa structure et notamment en termes d’argumentation.” Dès lors, big up à Ryan aussi !

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